2 - LE POINT DE VUE DE L'EXPERT-COMPTABLE
Le poids de la fiscalité, le rapprochement de professionnels, la curiosité au regard de cette forme sociale font que l'expert-comptable est souvent sollicité sur ces questions par son client médecin.
Seule une analyse approfondie, en fonction des objectifs du médecin et de sa situation patrimoniale appréhendée dans son ensemble est susceptible de répondre à la question de l'exercice de sa profession sous forme de société d'exercice libéral. Après un bref rappel de l'environnement juridique, fiscal et social, les éléments décisionnels seront abordés.
ENVIRONNEMENT JURIDIQUE
Les sociétés d'exercice libéral (SEL) ont été instituées par la loi du 31 décembre 1990 (loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 modifiée), entrée en vigueur le 1er janvier 1992. Elles sont ouvertes à l'ensemble des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé. En créant la SEL, le législateur a entendu donner à tous les professionnels libéraux la possibilité d'utiliser pour leur activité le cadre de la société commerciale.
Le décret n° 94-680 du 3 août 1994 a permis aux médecins de constituer des SEL. Ce décret est désormais codifié (CSP, art. R 4113-1 et s.). Les SELARL (sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée) qui représentent 99% des SEL inscrites au tableau de l'ordre seront ici présentées.
Bien entendu la loi offre la possibilité aux professionnels libéraux d'exercer sous d'autres formes de SEL : à forme anonyme (SELAFA), en commandite par actions (SELECA), en société par actions simplifiée (SELAS).
Ouverture du capital
Les médecins, personnes physiques, exerçant leur activité au sein de la SELARL doivent détenir plus de la moitié du capital et des droits de vote (en pratique plus de 50%). Il convient de préciser que seule la majorité en droit de vote est obligatoire, le professionnel en exercice pouvant être minoritaire en capital. Cette dissociation du capital et du pouvoir est possible par la création de parts d'industrie.
Le capital est ouvert dans une limite inférieure à 50% :
aux médecins exerçant par ailleurs (personne physique ou morale),
aux anciens associés médecins exploitants de la SEL pour une durée de 10 ans et à leurs héritiers pour une durée de 5 ans.
Le capital est ouvert dans une limite de 25% à toute personne physique ou morale, à l'exclusion :
de toute autre profession libérale de santé réglementée,
des fournisseurs et prestataires de services dans le secteur de la médecine, organismes d'assurance, prévoyance et protection sociale.
Remarques :
la SELARL peut être valablement constituée d'un seul associé (SELARL... unipersonnelle).
un médecin ne peut détenir de parts sociales que dans deux SEL, y compris celle où il exerce.
Modalités d'exercice de la SEL
Une SEL peut regrouper des médecins généralistes et/ou des spécialistes.
L'activité ne peut s'effectuer que dans un lieu unique, sauf si la SEL utilise des équipements implantés dans des lieux différents et que l'intérêt des malades justifie un éclatement des lieux d'exercice : la SEL peut alors exercer dans cinq lieux différents dont trois départements limitrophes.
Modalités d'exercice des associés
Un associé exerçant dans une SEL ne peut exercer ailleurs, sauf dans le cadre d'une structure regroupant plusieurs cabinets, autour d'un équipement lourd notamment.
A l'égard de la sécurité sociale, si tous les associés doivent être conventionnés (ou tous non conventionnés), ils peuvent exercer dans des secteurs différents.
Un associé peut être exclu pour contravention aux règles de fonctionnement de la SEL ou par déconventionnement supérieur à trois mois (les associés sont alors tenus de lui racheter ou faire racheter ses parts).
Les associés exercent leur activité professionnelle dans le cadre d'un mandat social (gérant) ou d'un contrat de travail.
Chaque associé répond sur l'ensemble de son patrimoine des actes professionnels qu'il accomplit. La société est solidairement responsable avec lui (mais pas les autres associés). En adoptant des règles complexes, le législateur a entendu préserver l'indépendance du médecin.
ENVIRONNEMENT FISCAL
Qu'ils exercent à titre individuel ou regroupés dans une société de personnes (société civile professionnelle), les professionnels libéraux sont soumis à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des BNC. Que les bénéfices soient prélevés ou non, ils supporteront entre les mains du professionnel, l'impôt sur le revenu.
Le régime des SEL est différent. Ces sociétés ont la personnalité fiscale. Elles vont payer directement un impôt spécifique, l'impôt sur les sociétés (IS). L'IS portera sur la différence entre le chiffre d'affaires et les charges. Mais contrairement au régime BNC, dans les charges, seront incluses les provisions et les rémunérations des dirigeants. S'il apparaît un bénéfice, celui-ci sera taxé à 15% pour la fraction inférieure à 38 120 €, 33 1/3% au-delà.
Quant au bénéfice après impôt, il appartiendra, chaque année, aux associés de décider de son affectation :
soit laisser le bénéfice dans la société pour assurer l'autofinancement,
soit le distribuer sous forme de dividendes.
Le professionnel, quant à lui, sera taxé à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires (après une déduction forfaitaire de 10% plafonnée) pour les rémunérations qui lui sont allouées et dans la catégorie des revenus des capitaux mobiliers (après un abattement de 40%) pour les dividendes qui lui sont distribués.
Dans ce cadre, les associés ont, avec la SEL, la possibilité de parvenir à une optimisation de leur gestion fiscale en agissant sur divers paramètres :
les provisions,
leur rémunération,
la constitution de réserves,
la distribution de dividendes.
Par ailleurs, l'exercice en SEL a un impact généralement favorable sur le montant de la taxe professionnelle. Toutefois, cet avantage peut être contrebalancé par l'assujettissement de la SEL à :
la taxe sur les véhicules de tourisme,
la taxe d'apprentissage,
la contribution sociale de solidarité.
La fiscalité liée à la transmission du cabinet est en général plus favorable dans le cadre BNC que dans le cadre de l'IS tant pour le cédant que pour le cessionnaire. Toutefois, cette question doit ici être nuancée dans la mesure où la valeur patrimoniale du cabinet est toute relative.
ENVIRONNEMENT SOCIAL
En pratique, les médecins qui constituent une SELARL adoptent tous le statut de gérant majoritaire. En conséquence, leurs rémunérations sont assujetties aux cotisations sociales dans le cadre du régime des travailleurs non salariés (TNS). Toutefois, contrairement à l'exercice individuel, seules les sommes prélevées sont soumises aux cotisations sociales. La question de l'assujettissement des dividendes aux cotisations sociales est plus délicate. En effet, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation ont une analyse divergente. Pour le Conseil d'Etat les dividendes ne doivent pas entrer dans l'assiette des cotisations (CE 14 novembre 2007, n° 293642). Pour la Cour de cassation, la solution est contraire (Cass.civ. 2ème ch, 15 mai 2008, n°06-21741). Le législateur devra intervenir. Il est à craindre que la solution ne soit pas favorable.
CONCLUSION
Le choix d'exercer en SEL repose essentiellement sur des aspects fiscaux et sociaux. Mais ils ne sont pas les seuls à prendre en compte. La protection de l'indépendance du praticien, la capacité de la société à favoriser le développement, la transmission du cabinet et l'intégration des jeunes associés sont aussi importants.
Avantages de la SEL :
Possibilité de faire appel à des capitaux extérieurs - Prendre en commun des décisions importantes
Limiter la responsabilité
Optimiser la gestion fiscale et sociale des associés
Inconvénients de la SEL :
Obligation de tenir une comptabilité commerciale
Fonctionnement plus lourd et plus complexe que l'entreprise individuelle
Fiscalité de la transmission alourdie
Ce n'est qu'après avoir analysé ces différents aspects qu'il sera possible de tenter d'apporter une réponse à la question : faut-il désormais choisir la SEL comme mode d'exercice ?
Jean-Marie PIERA Groupe SECOB-SPE